Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’inviter Thibaut Constant, gérant du domaine de Sandricourt, l’une des 27 exploitations agricoles du projet, et président du GIEE, à nous présenter le GIEE Les 5 éléments des Sablons.
Ce groupement d’agriculteurs regroupe 18 agriculteurs, qui exploitent 27 entreprises agricoles, sur 5 831 ha, soit 30% de la surface agricole du SMEPS (Syndicat Mixte d’Eau Potable des Sablons), syndicat mixte en charge de la compétence de l’eau potable au sein de la Communauté de Communes des Sablons.
Fin 2019, la dynamique est lancée
Fin 2019, le SMEPS, via l’animation faite sur les Aires d’Alimentation des Captages en eau potable, a organisé une réunion pour former un GIEE autour de la problématique de la qualité de l’eau. Les 18 agriculteurs présents se sont mis d’accord pour construire un GIEE sur le thème des Paiements pour Services Environnementaux (PSE) articulés autour de 5 thématiques:
- qualité de l’eau
- stockage de carbone
- qualité de l’air
- et biodiversité
- avec une thématique parallèle sur les résultats économiques
Assez vite, la demande de GIEE a été déposée à l’agence de l’eau, puis acceptée en août 2020, pour 2 ans, à hauteur de 315 000 euros, financée à 80% par l’Agence de l’Eau Seine Normandie et 20% par les agriculteurs. C’est la plus grosse enveloppe attribuée au niveau national.
Pour les agriculteurs, c’est particulièrement intéressant pour 2 raisons principales:
- l’approche pose les agriculteurs comme apporteurs de services environnementaux, avec une communication positive sur leur métier qui change de l’habituel agribashing
- la démarche leur permet d’aller chercher de la rémunération additionnelle à leur activité de production
Pour l’Agence de l’Eau, l’intérêt est de trouver une autre approche pour répondre aux contraintes environnementales que les MAEC et de mobiliser des financements privés.
Les PSE ou Paiements pour Services Environnementaux, késako?
Les Paiements pour Services Environnementaux en agriculture rémunèrent les agriculteurs pour des actions qui contribuent à restaurer ou maintenir des écosystèmes, dont la société tire des bénéfices (préservation de la qualité de l’eau, stockage de carbone, protection du paysage et de la biodiversité…). Ces avantages sont qualifiés de services écosystémiques. Les actions des agriculteurs, quant à elles, sont qualifiées de services environnementaux.
Les PSE engagent d’une part des financeurs, en principe les bénéficiaires directs des avantages comme des entreprises, des individus, parfois représentés par des associations ou des acteurs publics. D’autre part, les PSE engagent des agriculteurs considérés comme fournisseurs d’un service environnemental, et qui reçoivent en échange de ce service un paiement conditionné à l’atteinte de résultats sur l’écosystème.
Première étape, établir un diagnostic initial de l’impact environnemental des pratiques agricoles – état des lieux
D’abord, la première étape a été la constitution d’une grosse base de données en partant des pratiques réelles des agriculteurs à la parcelle sur les 3 campagnes 2017 à 2020. Le GIEE s’est appuyé sur plusieurs partenariats:
- avec Péri-G et Arvalis, grâce à l’outil Systerre, qui a permis de globaliser la base de données et de calculer certains indicateurs économiques.
- avec Agora pour une étude pédologique réalisée par une pédologue qui a défini 12 profils-types de sol différents, attribués à chaque parcelle.
- avec le laboratoire Auréa, pour des analyses de sols réalisées sur 150 parcelles pour mesurer les reliquats azotés entrées et sorties hiver, le pourcentage de matières organiques et l’azote potentiellement minéralisable.
- avec Météo France pour récupérer les données météorologiques précises sur les 3 ans.
- avec UniLasalle pour réaliser les comptages de vers de terre sur 120 parcelles et un stage 6 mois pour faire une cartographie des éléments du paysages (haies, bords de champs, bandes fleuries,…).
Toutes ces données ont permis d’alimenter des modèles aboutissant à des indicateurs d’impacts environnementaux chiffrés:
- Systerre pour tout ce qui est données économiques : on a pu sortir pour chaque exploitation tous les résultats économiques à différentes échelles. Marges brutes, marges nettes pour chaque parcelle y compris charges de mécanisation à partir du parc matériel réel de chaque exploitation, chaque culture en moyenne par exploitation, par année, en moyenne sur les 3 ans, résultat courant pour chaque exploitation et EBE. Ceci a permis d’obtenir des informations très précises de rentabilité de chaque exploitation individuellement, et un positionnement par rapport à la moyenne du groupe. Chacun a pu se positionner et a pu se comparer de façon anonyme.
- Carbone extract pour le stockage de carbone avec le bureau d’études Agrosolutions : c’est un des modèles labellisés par le ministère “ Label Bas Carbone”. Ils ont pu modéliser le stockage de carbone pour chaque exploitation.
- Epiclès pour étudier la qualité de l’eau avec le bureau d’études Agrosolutions : modéliser les transferts de nitrates vers les nappes phréatiques pour chaque parcelle de chaque agriculteur, chaque année. Les moyennes ont pu être calculées ensuite à différentes échelles : parcelle, exploitation, groupe.
- Macro 5.2 avec le bureau d’études Agrosolutions : modèle utilisé par l’ANSES pour l’homologation des produits phytosanitaires, qui modélise le transfert de produits phytosanitaires vers les nappes phréatiques.
- Biodiversité avec le bureau d’études Agrosolutions : modélisation de la production de pollen et de nectar, en lien avec les éléments cartographiques des éléments du paysage. On peut connaître mois par mois l’offre alimentaire en pollen et nectar pour les pollinisateurs.
- Comptage de vers de terre avec les étudiants d’UniLasalle.
L’ensemble de ces données permet d’obtenir un état des lieux initial de l’impact des pratiques agricoles sur les 3 thématiques. Il a pu être terminé fin 2022.
Résultats de modélisation des concentrations en nitrates du diagnostic
Le souci principal mesuré au niveau des différents captages, est la teneur en nitrates, avec une tendance à la hausse qui se rapproche de la norme de potabilité de 50 mg/l sans atteindre de plateau.
Les captages en eaux souterraines captent la nappe de la craie avec un temps de transfert des nitrates entre les parcelles agricoles et les nappes qui peut être très long, en moyenne 25 ans, et jusqu’à 50 ans sous les plateaux. Le résultat des pratiques agricoles actuelles se verra donc dans plusieurs décennies en termes de qualité d’eau captée en nitrates et phytosanitaires dans les eaux souterraines. Inversement nous mesurons actuellement au captage les teneurs en nitrates de pratiques agricoles d’il y a plusieurs décennies. D’où l’intérêt d’avoir recours à des outils de modélisation pour déterminer l’impact des pratiques agricoles actuelles.
Diagnostic initial : une moyenne de 110 mg/l de concentration en nitrates modélisés à l’échelle du groupe en moyenne sur les 3 années étudiées sous les parcelles agricoles implique la mise en place d’un plan d’action pour tendre vers un objectif à 50 mg/l à l’échelle des parcelles agricoles.
Le plan d’action défini s’articule autour de plusieurs leviers complémentaires:
- mieux piloter la fertilisation (minéralisation du sol, potentiel de rendement du sol, biomasse par satellite) à la parcelle, voir intra-parcellaire
- mieux gérer les apports organiques d’automne
- optimiser les couverts courts et longs
- installer des cultures dérobées
- optimiser les dates d’implantation du colza
- introduire des nouvelles cultures et zones de dilutions
Nous avons pu modéliser que la mise en place combinée de ces différentes actions permettrait d’atteindre une concentration en nitrate sous parcelles agricoles de 50mg/l en moyenne à l’échelle du groupe, permettant de diviser par plus de deux l’impact environnemental sur le paramètre nitrate.
Ainsi les dilutions successives entre les parcelles agricoles et les captages (surfaces en forêts, dilution par la nappe existante) permettront d’assurer une concentration au captage inférieure à la norme de potabilité.
Résultats de modélisation des transferts de phytosanitaires vers la nappe
146 matières actives utilisées ont été modélisées sur 26 500 scénarios d’application (chaque scénario couple un type de sol, une culture, une date et doses d’application et une chronique météorologique).
Concentrations moyennes à l’échelle des scénarios d’applications:
Seulement 2% des scénarios présentent des risques de dépasser la norme de potabilité. Il faut absolument les identifier pour régler le problème environnemental qui est donc très ciblé.
Sur ces 2% de scénarios, seuls 38 matières actives dépassent la norme de potabilité de 0,1 ug/l dans au moins un type de sol, et principalement sur 3 des 12 types de sol: les cranettes, argiles sur sables hydromorphes et argiles humides. Sans pour autant dépasser forcément la norme de potabilité à l’échelle du groupe.
En moyenne à l’échelle du du GIEE:
- La concentration moyenne sur la somme des matières actives est de 0,22 ug/l soit inférieur à la norme de potabilité de 0,5 ug/l
- A l’échelle des matières actives, seul le chlortoluron dépasse la norme de potabilité avec 0,55 ug/l (norme à 0,1 ug/l) à l’échelle du groupe.
- 5 matières actives ont des concentrations comprises entre 0,01 et 0,1 ug/l : aminopyralid, 2,4D, flufénacet, propyzamide, métazachlore donc dans un seuil de vigilance.
Il y a donc que le chlortoluron qui a un risque de dépasser la norme de potabilité et 5 matières actives pour lesquelles il y a une vigilance.
Voici le plan d’action proposé pour réduire les risques de pollution diffuse en phytosanitaire:
- adapter le plan d’action au type de sol en focalisant sur les 3 sols à risque sur les 12 profils identifiés.
- substitution par une matière active qui ne présente pas de risque de pollution diffuse par infiltration quand c’est possible, sur les types de sol à risque et/ou désherbage mécanique, voir utilisation de caméra de reconnaissance d’adventices
- déploiement d’un plan d’action agronomique : allongement des rotations avec cultures de printemps, labour non systématique pour les graines d’adventices, gérer les chardons dans les céréales, décalage de date de semis pour les céréales d’hiver (compliqué si année pluvieuse), faux semis (compliqué si année sèche)
Retrouvez bientôt dans notre prochain article la présentation des propositions de PSE Qualité de l’eau, réduction de GES/stockage du carbone, et Biodiversité!