Dans la suite de la présentation du GIEE Sols picards présenté par Justine Lebas, nous avons trouvé pertinent d’interviewer Nicolas Mourier, agriculteur très investi au sein du collectif et de l’APAD (Association pour la Promotion d’une Agriculture Durable) et expert chez Novalis Terra.

Nicolas Mourier

“Installé en 2013 sur la ferme familiale, j’ai acheté mon premier semoir de semis direct en 2014: à l’automne 2024 ce sera déjà ma 10ème implantation en semis direct!

Ce qui m’a motivé à entrer dans un collectif en lien avec l’agro-écologie (GIEE)?
Développer des itinéraires techniques innovants, et surtout mutualiser les réussites et ne pas reproduire les échecs liés aux changements de techniques culturales.

Il y a 10 ans j’étais investi dans un premier GIEE dans l’Oise sur la thématique du semis direct, pendant 3 ans. Et puis l’APAD s’est développé au niveau de mon secteur dans la Somme. Nous avons réussi à fédérer un groupe d’agriculteurs autour du sud 80 / Nord 60 qui constitue aujourd’hui le noyau dur du conseil d’administration de l’APAD Picardie. Je me suis alors investi dans ce nouveau groupe, plus centré sur mes problématiques et conditions pédoclimatiques locales.

Nous avons pris le relai suite à une équipe d’agriculteurs de la région de Beauvais à l’origine du développement de l’APAD Picardie. Aujourd’hui, notre collectif s’enrichit chaque année de nouvelles énergies: nous sommes maintenant une quarantaine d’adhérents, sur les 3 départements picards + le Val d’Oise.
L’évolution de mon système cultural a voulu que je travaille beaucoup sur la matière organique pour rétablir une fertilité organique importante, préalable à l’agriculture de conservation des sols (ACS).

En effet, la fraction organique du sol est le fondement pour développer un sol vivant capable de se structurer naturellement.
On capitalise un «fond de roulement» ou «pool organique», capable d’alimenter les plantes: le but est de le faire grossir pour obtenir «un volant d’autofertilité» synonyme de résilience en situation de conditions climatiques limitantes.

L’ACS, pour atteindre une certaine performance, demande une période de transition afin d’obtenir une stabilité structurale qui permettra de faire perdurer le système tout en se passant de travail mécanique. Il faut être capable de ne pas travailler le sol pendant un certain nombre d’années pour qu’il retrouve une porosité naturelle entretenue par les racines et les micro-organismes du sol et donc un fonctionnement vertical.
Ce prérequis étant aujourd’hui atteint sur mon exploitation, j’envisage d’axer mon travail sur la maîtrise du salissement dans la durée par différents leviers :

  • Continuer à maintenir une rotation diversifiée, à la fois en terme d’espèces et en terme de dates et périodes d’implantation
    Il est important de régulièrement prendre les adventices de cours! Il faut être capable de casser les cycles.
    Le pire est l’accoutumance : par la répétition du même schéma cultural, on exerce une pression de sélection sur un certain groupe d’adventices, la chimie venant en plus exacerber la sélection des individus les plus résistants.
    L’humain se rassure en répétant mais la nature s’adapte toujours plus vite et trouve des scénarios de contournements.
    J’implante par exemple du tournesol pour maintenir une culture d’été dans l’assolement et je profite de cette culture au cycle décalé pour implanter une légumineuse pérenne que je conserve vivante sous les céréales qui suivront.
  • Maintenir une fertilité physico-chimique du sol, un certain équilibre chimique
    Le semis direct, en créant un horizon de surface enrichi en M.O fait bouger les équilibres et il convient par exemple de surveiller les phénomènes d’acidification de surface.
    Pour beaucoup d’adventices, l’expression de leur développement est liée à la chimie du sol: pH, statut acido-basique, équilibre des cations, calcium actif en sont des exemples.
  • M’inspirer de techniques et méthodes ayant fait leurs preuves en agriculture biologique est un nouvel axe de travail:
    Mon objectif est de compléter la panoplie des outils de désherbage existants en intégrant dans l’itinéraire cultural des interventions inspirées des pratiques bio, comme par exemple la destruction mécanique du couvert avec un scalpeur capable de couper les racines des plantes à faible profondeur. Ceci me permettra de garder un horizon de surface faiblement perturbé et de préserver toute la verticalité et la porosité du sol acquise depuis mon passage en semis direct.

Je trouve dommage qu’il n’y ait pas assez de ponts entre l’agriculture biologique et l’agriculture conventionnelle, j’aimerais que l’ACS nous permette ce rapprochement, tout en conservant le bénéfice de nos outils de désherbage actuels.

Dans cet état d’esprit, nous avons prévu un voyage d’études organisé conjointement par Les Bios en Hauts-de-France et l’APAD Picardie. Nous prévoyons de visiter des systèmes ACS installés de longue date chez nos collègues de l’APAD Centre Est (Yonne, Bourgogne, Côte d’Or). Ils ont développé là-bas, les prémices de ce qu’est devenu l’ACS, il y a déjà une quinzaine d’années.

Ils sont plus avancés que nous car contraints par des sols séchants, superficiels, ce qui a nécessité de se lancer bien avant nous. Historiquement les assolements étaient assez restreints, colza-blé-orge. Ils ont une longueur d’avance en terme de simplification du travail du sol, mais sont obligés de trouver aujourd’hui des alternatives à ces assolements trop simplifiés.

Zoom sur un essai pour mieux appréhender le cycle de l’azote sur des sols en croissance organique forte

 

Sur 2021/2022 j’ai accueilli Angélique Richoux, à l’époque étudiante à l’UPJV, une apprentie en mission bipartite avec l’APAD. La thématique de sa mission était la mise en place et le suivi d’un essai de légumineuses en couvert végétal entre deux céréales à pailles.
La gestion de l’azote dans nos systèmes céréaliers en ACS peut s’avérer plus complexe à maîtriser et ce projet avait pour objectif de nous aider à appréhender plus finement le cycle de l’azote sur des sols en croissance organique forte.
Ce travail, assez exhaustif, a permis de mettre en évidence l’intérêt d’un couvert composé de 100% de légumineuses avec comme variable la densité de semis dudit couvert.
Les résultats qui en ont suivi sont sans appel:

  • l’effet de la densité de semis du couvert impacte directement la biomasse produite
  • l’effet “fourniture azotée” qui en résulte impacte les composantes de rendements du blé qui suit
  • cet effet est renforcé en conditions de fourniture azotée limitante (nous avons croisé dans cet essai les quantités d’azote minéral apporté).

Rien qu’à l’automne, le blé conduit avec un couvert haute densité comptait déjà un nombre de talles plus important.
La finalité de cet essai n’est pas tant de montrer que l’on peut réaliser des économies d’azote minéral en ACS – et il serait à mon sens dangereux de le traduire ainsi – mais le gain azoté est contributeur à l’évolution vers un sol vivant. En effet, le couvert de légumineuses par son relargage net de N2 atmosphérique dans le système contribue à financer le besoin azoté d’un sol en forte croissance de carbone.
Réduire les apports azotés pendant cette phase est illusoire, voire risqué, car le stockage de carbone sous forme de matière organique crée un besoin azoté important qu’il convient de prendre en compte dans un système sans travail du sol notamment les 5 premières années.

Légende photo : Scalpeur de précision, outil de désherbage mécanique pour conduire la destruction des couverts, s’inspirant des méthodes de l’agriculture biologique